Prunellier Le prunellier (Prunus Spinosa)

Paragraphe 1

Le prunellier en France, et en Europe

Parlons donc du prunellier (Prunus spinosa), spinosa pour épines.

On l’appelle aussi épine noire parce que son écorce est assez sombre.

C’est l’un des arbrisseaux les plus répandus dans nos campagnes, avec l’aubépine, un autre buisson plein d’épines, et je suis prêt à parier que vous vous êtes déjà frotté à lui. Soit parce que vous avez noté ses fleurs magnifiques au printemps, vous avez voulu en faire un petit bouquet et vous n’avez hélas pas vu les épines. Soit parce que vous avez vu à l’automne ses petits fruits qui ont l’air appétissants, mais vous les avez cueillis un peu trop tôt, ce qui a peut-être créé un effet en bouche assez comique à cause de la forte présence des tanins.

C’est en général comme ça qu’on fait sa connaissance, et du coup il est mémorable à sa manière.

Il va souvent former des fourrés assez impénétrables, qui vont bien sûr abriter tout un tas de petits animaux, des oiseaux en particulier. Il se développe au travers de racines traçantes et à partir d’un buisson mère vous allez voir pointer de nouveaux pruneliers ici et là, il peut très rapidement devenir envahissant.

On le retrouve un peu à tous les niveaux en France, depuis la plaine jusqu’à l’étage montagnard, et il couvre une bonne partie de l’Europe.

Fleurs de prunellier

Il a fait partie des jardins, pas vraiment comme plante ornementale, mais surtout sous forme de haies protectrices, un peu comme l’aubépine.

Une note intéressante de François-Joseph Cazin, médecin de campagne des années 1800 qui nous a laissé un ouvrage de référence assez imposant pour cette époque. Il nous donne une information que je n’avais jamais vue ailleurs : plutôt que d’essayer de se débarrasser de ces buissons remplis d’épines, il dit avoir greffé sur les prunelliers des pruniers, abricotiers et pêchers.

J’ai été surpris de voir cette information parce que ça ne me serait vraiment pas venu à l’idée de greffer quoi que ce soit dans cette masse épineuse. Mais quand on y réfléchit, c’est assez génial d’essayer de suivre les mouvements de la nature plutôt que de constamment essayer de les repousser, d’essayer d’éradiquer ce type de buissons.

C’est largement mieux de l’accepter et de travailler avec. Après tout, lorsqu’on sait utiliser le chiendent, la prêle, le prunellier, l’aubépine et la ronce, je pense qu’on peut accepter à peu près tout au jardin.

Cazin nous dit que les fruitiers qu’il avait greffés sont restés à l’état nain. Et il ne nous en dit pas plus, c’est dommage, on aurait aimé savoir si ces fruitiers ont bien produits.


Bon à tout faire

On a longtemps apprécié le bois de prunellier pour faire chauffer les fours à pain.

On a aussi utilisé les branches mortes et couvertes d’épines pour interdire l’accès à un champ par exemple, ou boucher un trou dans une haie d’aubépine ou autre. Et vu la dureté du bois et le fait qu’il est bardé d’épines, je peux vous dire que c’est relativement efficace.

Là, on voit que tout s’utilisait, et à présent je vais vous expliquer que la feuille, la fleur, le fruit et l’écorce ont aussi une utilisé en tant que remède.

Rien ne se perd dans le prunellier.


La prunelle, fruit du prunellier

Si on suit le cycle du prunellier au fil des saison, c’est le fruit qui est le plus intéressant, c’est la partie la plus connue, la plus utilisée dans notre tradition.

Avant de ramasser ces prunelles pour les consommer, il faut attendre le passage des premières gelées. Le froid va faire baisser la quantité de tanins dans les fruits, sinon c’est juste immangeable tellement c’est tannique.

D’ailleurs si vous voulez voir de quoi on parle quand on parle d’astringence, vous n’avez qu’à mâcher un morceau d’une prunelle qui est noire mais encore dure et qui n’est pas ratatinée par le gel, vous allez voir ce que c’est de tanner des muqueuses, vous allez ressentir cette sensation râpeuse comme si on vous avait immédiatement desséché la bouche.

C’est pour ça que l’énergétique des plantes très astringente, c’est une énergétique très asséchante.

Puis une fois que le froid est passé sur le fruit, il va perdre cet aspect bien rond et bien gonflé, il va se ratatiner, se friper, et vous verrez qu’il va rester assez longtemps sur les branches pendant l’hiver, du moins si les oiseaux ne le mangent pas avant. Là il peut être consommé, il est beaucoup plus agréable en bouche, la douceur ressort, même si il reste encore un petit peu tannique par rapport à d’autres fruits.

Prunelles ratatinées

On pense que ces prunelles ont toujours été consommées par nos ancêtres, à une époque où les gros fruits bien juteux des jardins n’existaient pas. Ce qu’on trouvait en nature, c’était de tous petits fruits, parfois amers, parfois astringents.

Et la prunelle faisait probablement partie des cueillettes qui étaient bien appréciées, puisqu'on la trouve à la fin de l’automne et pendant une partie de l’hiver, ce qui n’est pas très courant pour un fruit.


Vitamine C et anti-oxydants

Que trouve-t-on dans le fruit du prunellier ?

Tout d’abord, il contient de la vitamine C, à hauteur de 5 à 15 mg pour 100 g de fruits (María Ruiz-Rodríguez, 2014). Pour information, si on regarde d’autres petits fruits de chez nous, dans 100 g de myrtilles vous avez dans les 10 mg de vitamine C. Dans 100 g de groseilles, vous avez dans les 30 mg. Bon, dans 100 g de cassis, on bat les records avec environ 180 mg de vitamine C. Mais la prunelle n’est pas si mal que ça comme source de vitamine C, c’est loin d’être négligeable.

Autre point qu’il faut noter, le fruit est puissamment antioxydant avec une forte teneur en substances qu’on appelle anthocyanes et qui sont responsables de la couleur violet foncé du fruit.

Dès que vous voyez ces couleurs très marquées, de belles couleurs sombres ou vives, dans les fruits et les légumes, pensez que c’est probablement un signe qu’il est riche en antioxydants.

Ces anthocyanes sont des piégeurs de radicaux libres, ils les capturent avant qu’ils ne fassent des dommages dans notre corps. C’est pour ça qu’aujourd’hui, on est constamment à la recherche de bonnes sources d’antioxydants, car on est constamment agressé par différentes sources de radicaux libres.

Pour information, si on regarde la quantité en anthocyanes et en acides phénols, qui sont tous deux puissamment antioxydants, on a une quantité qui varie entre 1800 et 3800 mg de ces substances pour 100 g des fruits, ce qui est assez significatif (María Ruiz-Rodríguez, 2014).

En comparaison avec d’autres petits fruits sauvages comme ceux de l’aubépine, une plante dont je vous ai déjà parlé, on voit que la prunelle est largement plus antioxydante que les fruits de l’aubépine qui pourtant contiennent plein de pigments antioxydants dans la peau rougeâtre des fruits. Pour être précis, les prunelles en contiennent de 2 à 4 fois plus que les cenelles de l’aubépine (María Ruiz-Rodríguez, 2014).


Prunellier : un vrai cadeau de la nature

Nous avons une étude de 2014 qui conclue avec la phrase suivante : les prunelles devraient être considérées comme une nouvelle source d’antioxydants qui sont sûrs et bon marché.

Fabuleux ! Alors là bien sûr, on imagine l’industrie du complément alimentaire se frotter les mains et commencer à réfléchir à comment exploiter cette information d’un point de vue commercial. Mais vu la complexité pour ramasser les fruits dans cet amas d’épines, je doute que ça mène à quelque chose de profitable. Ou alors il va falloir trouver des cueilleurs qui ont un petit côté masochiste.

Mais pour nous, humbles ramasseurs de plantes sauvages, le prunellier un grand cadeau de la nature.

Parce qu’on réfléchit à comment utiliser des sources naturelles les plus diverses possibles pour notre santé, il faut qu’on arrive à diversifier justement pour ne pas se concentrer sur quelques espèces qui au final, seront sur-ramassées si un jour on se met tous à la cueillette sauvage.

Donc à l’automne, pourquoi ne pas ramasser ces petits fruits pour profiter de cette richesse en antioxydants et faire ses réserves avant l’hiver ? Et à l’heure actuelle, vu que très peu de gens s’intéressent à la prunelle et qu’elle est assez envahissante dans certaines campagnes, on est très loin d’avoir les inquiétudes qu’on pourrait avoir avec certaines espèces menacées.

Prunellier et ses prunelles


Diarrhées atoniques et maux de gorge

Cazin nous dit qu’il fait parfois une décoction des prunelles qui ne sont pas complètement mûres. Qui sont très astringentes bien évidemment, comme vous pouvez vous en douter si vous avez déjà goûté ces petits fruits lorsqu’ils ne sont pas encore bien ratatinés.

Il en fait une décoction pour les problèmes de diarrhées atoniques, c’est un vieux terme qu’on n’emploi plus aujourd’hui, c’était des diarrhées qu’on voyait parfois dans une convalescence après une fièvre avec une personne affaiblie par exemple. Mais sans rentrer dans tous ces détails, il est clair que vu la teneur en tanins, c’est une préparation qui va aider à tempérer les diarrhées d’une manière assez générique, sans pour autant les bloquer.

On utilise les prunelles dans certaines régions en Espagne pour les infections hivernales, les maux de gorge en particulier. Et vu la richesse en tanins, là encore ce n’est pas étonnant. On préparait une décoction avec les fruits, et avec l’écorce aussi. Je n’ai pas testé l’écorce mais je pense qu’elle doit être très astringente.

On voit aussi des préparations pour accompagner un rhume, avec des confections de type sirops de prunelles avec de la cannelle et du miel, ce qui doit donner quelque chose d’assez délicieux… j'en salive rien que d’y penser.

On voit aussi l’utilisation de la décoction de l’écorce de prunellier en bain de bouche pour des inflammations des gencives. Voilà, des applications assez classiques pour les plantes qui sont riches en tanins.

En fin d'article, avec les références, je vous donne les liens vers les vidéos que je vous ai faites sur les tanins, ce sont des vidéos explicatives sur ces constituants importants, à quoi ils servent, comment les utiliser. Ce sont des informations importantes si vos décidez de suivre mes formations.

Prunelles l'hiver
La fleur du prunellier, sudorifique et laxative

Ensuite, parlons de la fleur, cette petite fleur blanche magnifique et parfumée.

Ce n’est pas une partie très utilisée dans la tradition, mais on arrive à trouver des mentions ici et là dans différents pays.

Par exemple, on l’utilisait comme sudorifique, c’est-à-dire qui aide à la transpiration, une propriété qu’on utilise pour aider la personne à mieux gérer la fièvre. Dans la vision moderne de la maladie, la fièvre, c’est l’ennemi, il faut la faire disparaître à tout prix. Alors qu’on sait très bien que le processus de fièvre fait partie de nos processus de défenses et que couper la fièvre, c’est bloquer nos propres défenses.

Il y a des exceptions bien sûr, mais en règle générale, on essaie d’accompagner une fièvre, de lui permettre de s’exprimer et de suivre ses cycles d’une manière plus efficace sans pour autant bloquer quoi que ce soit.

Et les plantes diaphorétiques ont toujours eu un grand rôle à jouer de ce point de vue-là, comme je vous explique dans mon programme sur l’immunité et l’accompagnement des infections respiratoires et ORL. Ces plantes diaphorétiques nous permettent de transpirer abondamment à un moment où le corps a besoin d’évacuer la chaleur.

Et ici, on utilisait la fleur de prunellier en infusion. Je n’ai jamais testé, mais vu le parfum très floral, je pense que l’infusion doit être plutôt agréable à boire.

Plusieurs auteurs mentionnent l’utilisation de la fleur fraîche plutôt que sèche, ce qui serait une complication en plus car l’arbuste ne fleurit que pendant une période très brève avant l’arrivée des feuilles au printemps.

On aimerait bien que les fleurs séchées soient, elles-aussi, efficaces. Cazin nous dit qu’elles le sont pour certaines applications comme l’aspect laxatif, mais on ne sait pas si cela s’applique à toutes les propriétés, comme les propriétés sudorifiques, ou juste à l’aspect laxatif. Là encore il faudra qu’on rebâtisse l’expérience pour avoir des réponses.

Fleurs du prunellier

Ce qui nous amène donc à la propriété laxative de la fleur du prunellier. Cazin l’emploie comme laxatif chez les enfants.

On n’a pas vraiment de quantités, Cazin parle de poignée de fleurs pour une quantité suffisante d’eau, un peu moins si la fleur est sèche, donc là on est dans le flou total. Lieutaghi donne entre 20 et 30 g de fleurs pour un litre d’eau en infusion, ce qui me paraît raisonnable. Et on retrouve là encore cette mention des fleurs fraîches étant plus efficaces que les sèches.


Les feuilles du prunellier

On passe maintenant aux feuilles du prunellier. Une petite note que je trouve assez comique, Cazin nous dit que les feuilles sont utilisées en guise de thé dans certains pays du nord. « Ce thé jouirait d’une certaine odeur et aurait les apparences du thé de Chine, mais son infusion serait nauséeuse et purgative ».

On a un peu du mal à comprendre ce que nous dit Cazin, d’un côté l’infusion des feuilles fait partie de la tradition des pays du nord, mais lorsqu’on boit l’infusion on a la nausée. Je ne vois pas comment cette utilisation pourrait s’implanter d’une manière durable dans une tradition. Mais bon, allez savoir. D’autres auteurs parlent de la feuille légèrement torréfiée, donc passée au four, et qui constituerait effectivement une bonne alternative au thé de Chine. C’est à tester.

Pour les précautions à prendre, ce sont les mêmes que pour toutes les autres plantes riches en tanins , liens vers mes vidéos et mes articles sur les tanins en fin d'article.

Les recettes à base de prunellier et de prunelles

Allez, on passe maintenant aux petites recettes, c’est la partie ludique, où on peut combiner cueillette sauvage et plaisir gustatif.

Et je veux rendre hommage à celui qui a documenté en partie ces recettes, c’est Pierre Lieutaghi, grand défenseur des plantes médicinales qui a fait un incroyable travail d’ethnobotanique en Provence. Donc merci monsieur Lieutaghi pour tous ces beaux livres que vous nous avez légué et pour tout votre travail de capture d’un savoir qui était en train de se perdre.

Je vous rappelle que pour toutes ces recettes, il faut ramasser les prunelles ratatinées après passage du gel pour un goût agréable et beaucoup moins de tanins.



Compote de prunelles

Première recette, une compote de prunelles.

On fait cuire 1 kg de prunelles avec ½ litre d’eau. Dans la recette originale, on utilise moitié vin blanc, moitié eau. Ici on va faire simple avec juste de l’eau.

On rajoute 250 g de sucre, moins si vous voulez faire un peu moins sucré, à tester en fonction du goût. Un demi-zeste de citron râpé, de la cannelle et une pincée de sel.

Une fois que les prunelles ont cuit avec le sucre et les autres ingrédients (sachant qu’il faut laisser épaissir un peu le mélange et faire évaporer le jus si c’est trop liquide) on écrase les prunelles dans une passoire de cuisine pour séparer les noyaux et ne récupérer que la pulpe.

Et c’est prêt ! Et gardez les noyaux, vous allez voir dans une prochaine recette, rien ne se perd. Ensuite, Lieutaghi nous dit qu’on peut passer au four, nappé de meringue.



Ratafia de prunelles

Deuxième recette, un ratafia de prunelles.

On rentre dans les boissons alcoolisées avec ce petit apéritif sympathique.

Concassez au pilon 500 g de prunelles bien mûres. Faites-les macérer dans 1 litre d’eau de vie à 60°, ce qui est un peu dur à trouver aujourd’hui. Si vous ne trouvez pas d’eau de vie, utilisez un rhum à 55° que vous pouvez trouver dans le commerce, ça ira très bien.

Rajoutez de la cannelle et de la vanille. Vous laissez macérer pendant 2 ou 3 mois en remuant de temps en temps. Ensuite vous passez et vous filtrez, vous rajoutez 500 g de sirop de sucre, ou moins si vous voulez quelque chose de moins sucré. Et c’est prêt à déguster, avec modération bien sûr.



Liqueur de noyaux de prunelles

Troisième recette, une liqueur de noyaux de prunelle.

Rappelez vous, lorsque vous avez préparé votre compote, vous avez gardé les noyaux et vous les avez fait sécher une fois bien nettoyés. Il faut donc les passer à l’eau d’abord. Ensuite, une fois bien secs, vous concassez au pilon 2 décilitres de noyaux, donc à mesurer au verre mesureur échelle des liquides. Je n’ai pas encore essayé, c’est peut-être un peu fastidieux de casser ces noyaux, je ne sais pas.

Puis vous mettez à macérer dans 1 litre de bonne eau-de-vie pendant au moins 1 mois, en secouant de temps à autre.

Ensuite, vous filtrez et vous laissez vieillir, Lieutaghi ne précise pas combien de temps on laisse vieillir. Et si on est curieux, ça ne va pas vieillir bien longtemps. Du moins je pense que ça va être le cas lorsque je vais tester. Ensuite on sucre en fonction des goûts en mélangeant un sirop de sucre dans la préparation.



Le patxaran du Pays Basque

Pour finir, une spécialité régionale, originale et facile à réaliser. Notez que pour cette recette, en plus d'avoir ramassé les prunelles après les premières gelées, on propose de repasser les "pialous" au congélateur et ensuite de les laisser dégeler au soleil.

Il vous faut :

1 litre d’alcool anisé (on en trouve facilement dans les ventas, sinon un alcool de type anis del Mono dulce (anisette espagnole), Berger blanc ou à défaut de la Marie Brizard nature à 25°)
1/3 du volume de la bouteille de pialous (prunelles)
1 gousse de vanille
4 grains de café

L’idéal est de faire geler au congélateur les prunelles puis les faire dégeler au soleil.

Ensuite, il faut mettre les prunelles dans une bouteille avec la gousse de vanille, les grains de café et compléter avec de l’alcool anisé. Pour finir, il faut laisser macérer pendant 3 mois (en remuant légèrement une fois par semaine), puis filtrer avec un filtre à thé en papier.

Voilà 4 préparations à tester, bien sûr il en existe beaucoup d'autres selon les régions ou les pays, pour profiter de ce petit arbuste qui semble être une vraie peste pour de nombreux jardiniers et promeneurs.

Mais pas pour nous, vu qu’on sait maintenant que le prunellier peut devenir à la fois source d’aliment et de remèdes.

Paragraphe 2

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